Pont-Audemer se couche tôt. Quand on a vu l’église et le musée, qu’on s’est baladé dans les ruelles de “la Venise normande” – surnom donné à la ville par un quidam qui, assurément, détestait l’Italie – on s’ennuie ferme. Surtout le mercredi, jour de fermeture de nombreux restaurants et débits de boisson. J’ai échoué dans un coin de la ville où un couple de Thaïlandais tient commerce de bouche dans une antique demeure normande, et donc à colombages. Madame reçoit en costume thaï, monsieur est en cuisine. Ambiance d’auberge française bourgeoise. Cheminée en pierre de taille, poutres apparentes, peintures illustrant la côte normande dans la brume et des cadres dorés. Puis l’œil s’habitue et détecte quelques incongruités : une gravure asiatique montrant des jeunes filles jouant du fifre, une sculpture de Garuda (on pense ici l’Asie au sens large, quasiment en tant que continent, ce restaurant « thaïlandais” servant également du canard laqué et du riz cantonnais), bambous nains dans les vases de table. Vivifiant choc de culture au pays du bocage. Ils ont même de la Singha, et on en viendrait presque à regretter qu’ils ne fassent pas karaoké en fin de soirée. Madame demande si je ne m’ennuie pas trop à dîner seul dans cette salle vide. Au contraire, je jubile ! Voilà la France que j’aime.
Cela me rappelle ce restaurant chinois d’Aqaba où j’avais demandé à la patronne s’il y avait beaucoup de ressortissants de la république populaire au pays des Hachémites. Toute la communauté est là, m’avait-elle répondu avec un sourire en désignant la cuisine, où officiait son mari, et la salle où servait sa fille.