Bal poussière à Nosy Nato (Délestage 2)

Le long de la côte nord-est de Madagascar, l’île Sainte-Marie et l’île aux Nattes forment comme un point d’exclamation. La longiligne Sainte-Marie est le trait ; le confetti insulaire de Nosy Nato le ponctue d’un point oblong. Sur ce minuscule îlot bordé de cocotiers, de lagons et de plages de cartes postales, la Case à Beby était (elle a malheureusement fermé depuis !) une boîte 100 % malagasy. L’une de ces discothèques de village en grande partie en plein air, où l’on vient faire la fête sans arrières pensées et où les touristes sont les bienvenus tant qu’ils se mèlent à l’ambiance sans chichis et payent quelques bières à droite et à gauche.

Sur ce lopin insulaire sans électricité, l’alimentation par groupe électrogène donnait lieu à quelques épisodes inattendus. Un 14 juillet, pour le bal du même nom (les Saint-Mariens ont gardé un certain attachement aux traditions exotiques de l’ancienne puissance coloniale), alors que la fête battait son plein, le groupe électrogène a mis fin aux déhanchements et au rythme du salegy dans un déchirant râle essouflé. Tsy misy lasantsy. Plus d’essence.

Tout le monde s’est assis sur le sable, quelqu’un y a dessiné un cercle, chacun y a jeté quelques billets. Un homme a ramassé le tout et est parti dans la nuit. On a discuté paisiblement jusqu’à son retour, une bonne demi-heure plus tard, en buvant des THB (la bière locale) tièdes. Il était parti en pirogue jusqu’à Sainte-Marie, pour revenir avec une bouteille d’eau en plastique remplie d’essence. Le réservoir du groupe électrogène a été promptement rempli et la fête est repartie d’un coup.

À Madagascar, on n’a pas toujours du pétrole, mais on a de l’énergie à revendre. « Il est bon de tomber, cela apprend à mieux marcher », dit un problème malgache. 

Une histoire de Q (et autres consonnes)

Panneau La plantade © Olivier Cirendini

Montcuq n’est pas seulement une localité de 1 800 âmes dont le nom a fait se gondoler de rire des milliers de visiteurs de passage. C’est aussi et surtout un joli village du Quercy blanc, avec place bordée de platanes et ruelles pavées, en même temps que l’illustration d’une vérité socio-géographique : dans ce bel hexagone, on aime bien glisser localement une petite incongruité qui permettra à coup sûr de faire la différence entre le gars du coin et celui d’la ville, l’initié du bocage et « l’estranger » d’où qu’il soit.

Car Montcuq, comme il se doit, se prononce MontcuQ, avec un Q final bien senti. C’est fort de cette connaissance du parler régional qu’on arrive à Saint-Cirq-Lapopie, quelques dizaines de kilomètres plus à l’est, réputé à juste titre pour ses demeures de pierre blonde et les vestiges de son fort seigneurial. Et on se ramasse comme un estranger : « On n’est pas au cirque ici », nous fait-on remarquer d’une répartie cinglante après qu’on a prononcé Saint CirQ… Le Q est aussi sonore à Montcuq qu’il est silencieux à Saint-Cirq…

L’Auvergne donne une autre illustration de cet art subtil de débusquer le « pasducoin ». On serait volontiers enclin à ne pas prononcer le S de Maurs-la-Jolie, localité du Cantal longtemps vantée pour ses foires. Eh bien non, il siffle ! À la différence de celui de Salers, de l’autre côté de la ville d’Aurillac, dont on ne présente plus la qualité des viandes bovines mais dont le S final se doit de rester au fond du gosier sous peine d’être rangé derechef dans la catégorie des non-initiés.

C’est comme ça. Après tout, il n’y a que des étrangers, allemands, anglais ou autres visiteurs, pour prononcer le S de Parissss, non ?

Le temps figé

FemmeHimba © Olivier Cirendini

À la sortie du supermarché Spar d’Opuwo, ville poussiéreuse de la région du Kaokoland, au nord de la Namibie, une femme Himba dénude sa poitrine avant de se diriger vers des touristes pour tenter de leur vendre des bijoux de sa fabrication.

J’ai bien vu et je m’étonne. Traditionnellement, les femmes Himba vont seins nus. Mais, quelques minutes plus tôt, dans les travées éclairées aux néons du magasin, je l’avais aperçue vêtue de la traditionnelle jupe en peau, le corps et les cheveux enduits du mélange d’ocre et de graisse qui leur donne un aspect soyeux et velouté… mais avec une étoffe sur le haut du corps. Le tourisme n’aime pas le changement. Certaines femmes Himba, sachant que leur crédit dépend de leur « authenticité », en viennent donc à se conformer à l’image que les visiteurs en quête de dépaysement attendent d’elles.

À Opuwo comme ailleurs sur la planète tourisme, les rites se doivent d’être millénaires et les traditions hors du temps. Sinon, « c’est plus ce que c’était ». L’image « authentique » est une image figée. Un Massaï en Nike, un Aborigène avec des Earpods ou un Inuit en motoneige, allons donc, c’est quand même moins photogénique… Le tourisme, parfois, interdit aux gens de vivre dans leur époque.

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