See you in Solitaire
Solitaire est au milieu du centre désertique de la Namiblie. Autant dire au milieu de nulle part. Et pourtant tout le monde semble s’y arrêter. Passage obligé au carrefour des routes entre Windhoek, Walvis Bay, Sossusvlei et le parc national du Namib-Naukluft, cette localité de moins de 100 âmes cultive ses airs de Bagdad café sous le soleil africain.
Son nom on ne peut plus évocateur lui aurait été donné par l’épouse d’un courageux fermier qui s’y est installé en 1948, et nul ne sait si elle faisait référence au bijou ou à une certaine désolation. Des carcasses d’antiques Chevrolet et de tracteurs Ford finissent de rouiller au milieu du désert, dans le bruit de grincement d’une windpump, ces tours en métal flanquées de pâles mollement actionnées par le vent qui sont devenues le symbole des régions désolées.
« Beer is now cheaper than gas. Don’t drive, let’s drink » (la bière est maintenant moins chère que l’essence. Buvons plutôt que conduire), annonce un panneau. Ambiance. Les raisons du succès des lieux auprès des visiteurs ? Une indéniable atmosphère, donc, mais aussi quelques bonnes chambres d’hôtel, un camping, une station-service-épicerie et une boulangerie dont la tarte aux pommes serait « world famous ».
Court-circuit (Délestage 1)
La lumière s’éteint, la ville vibre d’un ohhh ! général, et ça n’étonne plus personne. La Jirama – Jiro sy Rano Malagasy, « Eau et électricité de Madagascar », la société nationale de fourniture d’eau et d’électricité malgache – est (presque) avant tout connue pour ses délestages. Des coupures de courant régulières, par quartiers, parfois quotidiennes.
La faute à une infrastructure hors d’âge et mal entretenue, souvent des générateurs pétaradants que l’on croise en périphérie des villes de province dans le grondement du métal et les odeurs de fioul. Avec le temps, on s’y habitue, ou du moins on se fait une raison. Sauf quand on ne s’y habitue pas : pourquoi la coupure survient-elle toujours quand on est sous la douche ou dès que l’on branche un ordinateur en mal de batterie ?
Et puis un jour, on tombe sur le logo de la Jirama. Et tout s’explique : on y voit un robinet d’eau coulant dans une ampoule électrique. À la base, en somme : un court-circuit.
Outdoor aérobic
En fin de journée à Battambang, ville carrefour cambodgienne que traversent les visiteurs dans leur route vers les merveilles d’Angkor, des habitant(e)s se rassemblent par dizaines au bord de la rivière pour une séance d’aérobic collective, au son de haut-parleurs saturés. Des coachs habillés de lycra donnent le tempo et l’énergie, et l’on imagine que les collègues de bureau, les mères au foyer et les jeunes retraités, au sortir du travail ou après les occupations de leur journée, se donnent chaque soir rendez-vous devant les enceintes tonitruantes de tel ou telle leader de revue survitaminé(e).
Une salle de sport à ciel ouvert ? Pas seulement. Car là où chacun, à la “salle”, s’escrime seul dans son effort – qui sur son rameur, qui sur son tapis de course, qui sur ses pompes ou ses abdos –, on est ici face à un mouvement collectif. Tous se sont rassemblés pour faire les mêmes moulinets et déhanchements, bouger bras et jambes à l’unisson et dans la même direction.
Dans cette localité tranquille, cette belle émulation, d’autant plus appréciable qu’elle est tout à fait inattendue, volerait presque la vedette aux autres curiosités locales : le grand marché, les maisons coloniales et la pagode de l’Éléphant blanc. Quelques années plus tard, je suis tombé sur une scène comparable à Vientiane, capitale du Laos, un jour où un lourd ciel d’orage donnait au spectacle un air de dernière danse avant la fin du monde. Ensemble, ils semblaient prêts à défier les éléments, comme s’ils avaient le pouvoir de repousser les nuages d’encre…